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Potentiel de l’imagerie drone comme aide à la cartographie des sols à l’échelle de la parcelle

Cette communication, réalisée lors de la conférence SIG organisée à Versailles (78) les 5 et 6 octobre 2016, présente une étude visant à évaluer le potentiel de l’imagerie drone pour aider à la cartographie des sols à l’échelle de la parcelle agricole en complément de la réalisation d’analyses de terre ciblées. Deux parcelles ont été suivies lors de cette étude : l’une de 28 ha dans les Yvelines (zone d’étude de 3.6 ha), l’autre de 30 ha dans l’Eure (zone d’étude de 18 ha). On présentera plus particulièrement ici, les résultats correspondent à la mise au point de la méthode sur la parcelle des Yvelines.

Auteurs : Jean-Marc GILLIOT, Agro Paris Tech ; Joël MICHELIN, Agro Paris Tech ; Moustapha CISSE, Agro Paris Tech ; Dalila HADJAR, Agro Paris Tech ; Maxime BECU, Défisol / be Api.

 

INTRODUCTION

La cartographie des sols est coûteuse en temps et en moyen humain, en particulier pour la prospection de terrain servant à caractériser les sols et à délimiter spatialement les différentes unités cartographiques de sols. Aussi les pédologues cartographes utilisent-ils déjà différentes informations spatialisées comme outils d’aide à la cartographie (photographies aériennes, cartes géologiques, images satellitaires). Nous avons étudié le potentiel de l’imagerie drone pour aider à la cartographie des sols à l’échelle d’une parcelle agricole.

 MATÉRIELS ET MÉTHODES

  • LES ZONES D’ÉTUDE

Deux parcelles agricoles ont été suivies lors de cette étude : la parcelle de « Palmort » d’une surface de 28 ha située dans les Yvelines et la parcelle de « Moulin Renault » de 30 ha située dans l’Eure (fig. 1). La parcelle de Palmort a été choisie dans un premier temps pour mettre au point la méthode de suivi des sols à partir d’images drones. Afin de pouvoir densifier les mesures de terrain, une zone d’étude plus petite de 3,6 ha a été délimitée à l’intérieur de la parcelle.

  • LES SYSTÈMES DRONES UTILISÉS

Trois drones ont été utilisés, deux ailes volantes : le eBee de sensefly® (groupe Parrot®) et le LA300 de Lehmannaviation® ainsi qu’un multirotor quadricoptère le Iris+ de 3DR® / Innovadrone® (fig. 2).

Trois capteurs ont été utilisés pour les prises de vues : un appareil photo à haute résolution 15M pixels Canon Ixus 127 HS, une caméra multispectrale Rededge de Micasense® et une caméra multispectrale Multispec 4C de Airinov® (fig. 3).

La caméra Rededge spécialement conçue pour les drones fournie des images d’une résolution de 1280 x 960 pixels dans 5 longueurs d’onde : bleu, vert, rouge, rededge et proche-infrarouge couvrant la gamme spectrale de 450 à 850 nm. La multiSPEC 4C, également développée pour les drones, comporte quant à elle 4 bandes spectrales : vert, rouge, rededge et proche-infrarouge (530-810 nm) pour une résolution de 1280 x 960 pixels mais elle comporte en plus un capteur de luminosité (luxmètre) sur le dessus du boitier, qui permet de mesurer l’éclairement incident au moment de chaque prise de vue.

  • LES SUIVIS AU SOL

MESURES SPECTRALES

Des mesures spectrales de référence ont été acquises au sol pour chaque vol, à l’aide d’un spectro-radiomètre de terrain Spectral Evolution® SR-3500 (fig. 4), de manière à contrôler la qualité des mesures de réflectances fournies par les caméras embarquées dans les drones.

Le SR-3500 facilement transportable au champ, fournit des spectres couvrant la gamme radiométrique 350-2500 nm pour une résolution variant de 3 à 8nm selon les gammes de longueur d’onde. Les mesures spectrales sont ensuite traitées grâce au logiciel Read-Asd développé en VBA sous Excel par le laboratoire, il permet d’importer les spectres dans Excel, de moyenner automatiquement une grande série de spectres, d’intégrer le spectre continu (350 à 2500 nm) sur les bandes spectrales des caméras afin de pouvoir les comparer avec les pixels des images. Les courbes de sensibilité RSR (Relative Spectral Response) des capteurs fournies par les constructeurs ont été utilisées à cette fin.

IMPLANTATION DU DISPOSITIF DE REPÈRES TERRAIN

42 repères ont été répartis sur la zone d’étude afin de matérialiser les points de prélèvement des échantillons de sol avec une haute densité spatiale (plus de 11 points / ha) (fig. 5). Les localisations ont été choisies de manière à couvrir dans les 3,6 ha, les principales zones de variabilité des sols constatées en surface sur le terrain. 19 cibles servant au géoréférencement des images sont disposées sur le site (fig. 5). Les repères et les cibles ont été géolocalisés avec un DGPS Trimble Géo 7x de précision centimétrique à l’aide d’une canne de géomètre et d’un niveau à bulle (précision décimétrique).

DONNÉES SUR LES SOLS

Des échantillons de sol ont été prélevés en surface sur les 10 premiers centimètres, au niveau des 42 repères, afin d’être analysés au laboratoire d’analyse des sols (LAS) de l’INRA. Une campagne de sondage pédologique a été réalisée (encore en cours) afin de produire une description très détaillée de l’organisation spatiale des sols présents dans la zone d’étude.

 

PRÉTRAITEMENT DES IMAGES DRONE MULTISPECTRALES

Comme on peut le voir sur la figure 3, les caméras multispectrales RedEdge et multiSPEC 4C comportent autant d’optiques que de bandes spectrales. Il y a donc une optique et un capteur CCD séparé pour chaque bande spectrale, ce qui va donner une image par bande. Les optiques étant géométriquement décalées les images obtenues ne sont pas directement superposables à la précision du pixel. Cette superposition des canaux ou « band registration » n’étant pas toujours bien pris en charge par les logiciels de traitement des images drones, nous avons développé un outil en langage python « Multispec Calib » utilisant la transformée de Fourier discrète (DFT) pour réaliser cette opération lors d’un prétraitement. Multispec Calib est aussi utilisé pour d’autres prétraitements : correction de l’effet de vignetage, correction des déformations liées à l’optique (modèle calculé avec Agisoft Lens) et enfin calibration des images en réflectance avec pour la multiSPEC 4C l’intégration des variations d’éclairement au cours du vol.

 

TRAITEMENT PHOTOGRAMMÉTRIQUE

Le système d’acquisition par drone nécessite, pour couvrir l’ensemble de la parcelle, plusieurs prises de vue, souvent plusieurs centaines, puisque l’emprise d’une seule image est très inférieure à la surface de la parcelle. L’imagerie acquise par lignes de vol doit donc être assemblée pour produire une mosaïque couvrant l’ensemble de la parcelle. L’approche la plus utilisée pour réaliser ce mosaïquage repose sur la construction d’un modèle 3D de la scène à partir des images, selon la méthode photogrammétrique. Dans le cadre de cette étude, nous avons testé et comparé les logiciels Pix4D et Agisoft Photoscan, plus particulièrement pour les images multispectrales. L’algorithme d’égalisation colorimétrique de Pix4D reposant sur un maillage géométrique de la scène conduit très fréquemment à faire ressortir ce maillage de manière artificielle sur la mosaïque multispectrale finale, pour cette raison nous avons retenu Photoscan comme logiciel photogrammétrique. A la fin du traitement photogrammétrique, Photoscan délivre un GeoTiff directement exploitable sous ArcGIS.

 

MODELISATION STATISTIQUE DES PROPRIÉTÉS DE SOL À PARTIR DES IMAGES DRONES

La modélisation des propriétés du sol a consisté à construire des modèles statistiques permettant de prédire les propriétés du sol à partir des réflectances des images drones. Le modèle de régression utilisé est la méthode des moindre carrées partiels (PLSR), on a utilisé le package PLS du logiciel R®. Cette méthode est plus adaptée qu’une régression linéaire multiple pour des données spectrales qui présentent de fortes corrélations. Les 42 échantillons ont été divisés en deux parties : une pour construire le modèle (apprentissage) et une pour le valider (validation externe). Le modèle de prédiction d’une propriété de sol correspond alors à une équation de combinaison linéaire des différentes bandes spectrales :


Pour spatialiser ce modèle on va ensuite l’appliquer à l’image dans ArcGIS, en rentrant la formule dans la calculatrice raster de Spatial Analyst, on va ainsi créer la carte finale de la propriété étudiée. La figure 6 présente le diagramme général de l’approche de prédiction des propriétés de sol. Nous avons aussi cherché à établir un modèle qui permettrait d’atteindre une qualité de prédiction acceptable en utilisant le minimum de points d’analyse possible. En effet, les prélèvements sur le terrain prennent beaucoup de temps et les analyses en laboratoire coûtent chères, trouver des modèles avec un nombre limité de points de calage permettrait une utilisation opérationnelle pour des bureaux d’études en pédologie. La répartition géographique des points dans la parcelle se fait sur la base d’un indice de brillance (IB) calculé sur l’image, en répartissant les points dans des zones contrastées de l’indice.

 

ZONAGE DES TYPES DE SOL À PARTIR DES IMAGES DRONES

Pour établir une esquisse de carte de sol, on a adopté une approche par classification automatique partant de l’idée qu’on n’a pas de connaissances à priori sur les types de sol présents dans la parcelle. Une classification automatique par l’algorithme isodata d’ArcGIS a ainsi été appliquée à la mosaïque de la parcelle pour avoir un premier zonage en 25 classes de sol. Le dendrogramme correspondant a été récupéré et une classification ascendante hiérarchique (CAH) a ensuite été appliquée sur la base de ce dendrogramme en regroupant finalement en 6 classes. Pour évaluer la pertinence du zonage produit par la classification, 30 sondages à la tarière ont été réalisés sur l’ensemble de la parcelle et couvrant toute les zones. Les descriptions pédologiques de ces sondages ont été regroupées en 6 classes par le pédologue. Les classes images ont ensuite été confrontées aux classes du pédologue en calculant une matrice de confusion.

RÉSULTATS

16 vols ont été réalisés sur la parcelle de Palmort, entre le 17 mars et le 04 mai 2016 et 4 vols ont été acquis sur la parcelle de Moulin Renault le 24 mars 2016. La figure 7 présente 2 exemples des mosaïques finales obtenues sur les 2 sites.

La figure 8 présente la correspondance entre les réflectances des images sur la mosaïque multiSPEC 4C du 17/03 et les mesures du spectro radiomètre de terrain. On peut voir la très forte corrélation avec des R2 supérieurs à 0,9 pour les 4 bandes. Il est aussi important de noter le faible biais des équations qui montre que les réflectances estimées par la caméra sont relativement proches en absolue des valeurs de réflectance du spectro radiomètre.

Deux exemples d’évaluation du modèle PLSR de propriété de sol sont présenté dans la figure 9 :

La figure présente la relation entre les estimations PLSR des propriétés et les valeurs mesurées en laboratoires, on peut noter pour le carbone organique et l’argile des coefficients R2 supérieur à 0,8 traduisant le bon comportement des modèles. Les erreurs quadratiques moyennes (RMSEP) sont relativement faibles.
Le tableau 1 montre les variations de performance des modèles PLSR pour le carbone organique et l’argile en fonction du nombre de points choisi pour calculer le modèle. Les points sont à chaque fois répartis dans des zones contrastées de l’indice de brillance des sols.

On peut constater que même avec un nombre réduit de points de calage, la performance des modèles reste tout à fait acceptable pour la parcelle de Palmort. La figure 10 montre un exemple de spatialisation du modèle pour le carbone organique sur la parcelle de Palmort (vol du 17/03/2016).

La figure 11 présente la classification CAH en 6 classes de la parcelle de Palmort (vol du 17/03/2016) obtenue à partir de la classification isodata en 25 classes. La partie gauche de la figure présente l’arbre des distances ou dendogramme ayant servi à faire les regroupements de la CAH.

Le tableau 2 présente la matrice de confusion calculée entre les 6 classes obtenues par la classification d’image et les 6 classes de terrain définies par le pédologue sur la base de ses sondages de sols. Un minimum de 3 sondages par classe a été réalisé.

On peut voir dans ce tableau qu’il n’y a aucune confusion entre les deux typologies, tous les points appartenant à une classe donnée dans l’image restent dans cette même classe dans la typologie du pédologue.

CONCLUSION – PERSPECTIVES

Les résultats de cette étude ont montré la possibilité d’une part de construire à partir d’images drones multispectrales, des modèles statistiques de prédiction spatialisée de propriétés des sols à l’échelle de la parcelle agricole et d’autre part de produire un zonage des types de sols cohérent avec les informations pédologiques de surface et en partie de profondeur. Nous testons actuellement la généricité de tels modèles dans plusieurs conditions : d’abord sur la même parcelle mais à des dates différentes avec d’autres états de surface, ensuite sur d’autres parcelles dans un même contexte pédologique et enfin sur des parcelles d’autres territoires (parcelle du Moulin Renault). Par ailleurs, une partie de ce travail encore en cours, concerne l’étude des effets des paramètres de prises de vue qui jouent un rôle essentiel dans la qualité des images.

Ce travail a bénéficié du soutien financier du réseau SolFIT du Laboratoire d’Excellence BASC (LabEx BASC) du Campus Paris-Saclay.

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